Code de la famille : défis, traditions et équité dans un Royaume en mutation 1/2

Réforme de la Moudawana : Entre ambition et réalités socio-culturelles


La réforme de la Moudawana ne se limite pas à une simple révision des lois existantes du code de la famille ; elle vise à réaligner les normes juridiques avec les traditions et valeurs culturelles profondément ancrées dans notre société, tout en répondant aux aspirations contemporaines à l'équité de genre. Cette réflexion se décline en deux parties, destinées à explorer les enjeux multidimensionnels et la complexité de cette entreprise, afin d’offrir une compréhension approfondie contribuant au débat national qui agite politiques, juristes, théologiens, universitaires, ONGs… sur ce sujet sociétal d’actualité brûlante.



Par Mohammed BENAHMED

Cette première livraison examine les fondements de la réforme, un survol de son contexte historique, et les défis persistants malgré des avancées notables. Elle aborde les dimensions légales et éducatives de la réforme, rappelant les progrès réalisés et les barrières qui subsistent, ainsi que les leçons et perspectives comparatives sur les politiques de genre.

La seconde livraison de cette tribune, intitulée "Allier tradition et dynamique réformatrice : les nouvelles frontières de la Moudawana", se focalisera sur les enjeux spécifiques de l'harmonisation des références religieuses avec les normes universelles des droits humains. Cette partie mettra en lumière les aspects controversés de la réforme, tels que les défis liés à l'interdiction du mariage des mineures et de la polygamie, et examinera leur réception par différents groupes sociaux et religieux au sein de la société marocaine.

Code de la famille, entre défis, stéréotypes et limites

Le Maroc se trouve à un carrefour critique de son développement socioculturel et économique. Au cœur de cette transformation se trouve la pleine autonomisation des femmes qui est non seulement un impératif moral et social mais également une composante majeure des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'Agenda 2030 de l’ONU, en particulier l’ODD 5 qui vise à parvenir à l'égalité des sexes et à autonomiser toutes les femmes et les filles.

L'année 2004 marque un tournant avec la réforme du code de la famille (Moudawana) qui a été saluée comme un pas en avant vers la modernisation des structures sociales du pays et un alignement plus étroit avec les conventions internationales des droits humains auxquelles le Maroc a souscrit. Cependant, malgré ces avancées, de nombreux obstacles subsistent. De la législation à l'application effective des lois, des stéréotypes culturels à l'accès limité aux ressources économiques, les défis sont nombreux, complexes et continuent d'influencer la perception de l'égalité de genre au Maroc.

En réponse, le gouvernement a initié une nouvelle phase de réformes de la Moudawana, envisageant des changements encore plus profonds pour renforcer les droits des femmes de manière plus intégrée et durable. Après six mois d'auditions, la commission en charge de la révision a soumis une première version du texte le 30 mars au chef du gouvernement, qui l'a ensuite remise à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en sa qualité de commandeur des croyants et Président du conseil supérieur des oulémas, pour statuer sur les amendements suggérés.

Le Souverain avait clairement établi les frontières dans lesquelles cette réforme nécessaire doit opérer dans sa lettre du 30 juillet 2022 adressée au chef du gouvernement, soulignant les principes fondamentaux qui doivent guider l'élaboration de cette législation nécessaire, et affirmant : ″Je ne peux autoriser ce que Dieu a interdit, ni interdire ce que le Très-Haut a permis″.

État des lieux de la politique de genre : avancées et barrières

Historique et progrès juridiques et éducatifs

Juridiquement, la révision de la Moudawana en 2004 a été une étape majeure, offrant aux femmes des droits accrus en matière de divorce, de tutelle légale des enfants et de propriété. Ces changements ont posé les bases d'une transformation sociale plus large, bien que leur mise en œuvre continue de rencontrer des résistances. La consolidation des gains juridiques et éducatifs, couplée à des efforts soutenus pour éliminer les barrières économiques et politiques, est essentielle pour réaliser le potentiel complet de l'égalité de genre dans le royaume.

Sur le plan éducatif, les efforts du gouvernement pour augmenter l'accès des filles à l'éducation ont porté leurs fruits, avec une réduction notable de la disparité de genre dans l'enseignement primaire et secondaire. Cependant, le taux de décrochage scolaire chez les filles, particulièrement en milieu rural, reste préoccupant. Les causes de ce phénomène sont multiples, y compris la pauvreté, les normes culturelles, et le déficit d'infrastructures adéquates, telles que des moyens de transport sécurisés et des équipements sanitaires appropriés dans les établissements éducatifs.
 

Barrières et potentiel économique des politiques de genre
 

Les femmes et les filles constituent la moitié de la population marocaine, et représentent donc la moitié du potentiel disponible du pays. Économiquement, les femmes marocaines font face à un taux de chômage plus élevé et des écarts de salaire par rapport à leurs homologues masculins, et une représentation limitée dans les positions de leadership et de décision dans la vie économique et politique.

Malgré une législation favorable, la pratique du terrain montre que les femmes sont souvent reléguées à des secteurs d'activité moins rémunérateurs et moins valorisés. Politiquement, bien que la participation des femmes ait augmenté grâce à des quotas électoraux, leur présence dans le paysage politique reste marginale, ce qui limite leur influence sur les stratégies publiques, notamment celles affectant directement les conditions et droits des femmes.

Les inégalités de genre impactent directement le progrès économique et social. Les études menées par plusieurs institutions internationales montrent que l'intégration complète des femmes dans le marché du travail, et l'élimination des barrières à l'emploi pourrait significativement booster le PIB national et par habitant, en offrant à la fois une plus grande diversité de compétences sur le marché, et en améliorant la productivité globale.

L'amélioration de l'équité de genre n'est pas seulement une question de justice sociale mais aussi une stratégie de développement viable. En promouvant l'indépendance économique des femmes, le Maroc pourrait réduire la pauvreté, stimuler la production nationale et améliorer les conditions de vie. Cela requiert des politiques publiques ciblées, des réformes éducatives pour éliminer les stéréotypes de genre dès le jeune âge, et des mesures pour encourager la participation féminine dans les secteurs économiques à haute valeur ajoutée.
 
 

Leçons globales : Perspectives comparatives sur les politiques de genre
 

Comparaisons régionales

La quête de l'égalité de genre est un défi mondial. Des progrès ont certes été réalisés au cours des dernières décennies, mais le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre l’égalité des sexes d’ici à 2030. Au rythme actuel, selon l’ONU, on estime qu’il faudra 300 ans pour mettre fin au mariage des enfants, 286 ans pour combler les lacunes en matière de protection juridique et supprimer les lois discriminatoires, 140 ans pour que les femmes soient représentées de manière égale dans les postes de pouvoir et de direction sur le lieu de travail, et enfin 47 ans pour parvenir à une représentation égale dans les parlements nationaux. En moyenne, les femmes sur le marché du travail gagnent toujours 23 % de moins que les hommes au niveau mondial et les femmes consacrent environ trois fois plus d’heures que les hommes au travail domestique et aux soins non rémunérés.

Le Maroc, dans ses efforts pour améliorer la situation des femmes, peut capitaliser sur les leçons précieuses de comparaisons internationales sans douleur idéologique. En examinant les politiques et les initiatives étrangères, notamment celles de la région MENA et d'autres régions du monde, le Maroc peut identifier des stratégies efficaces et éviter les écueils couramment rencontrés dans la mise en œuvre de réformes similaires.

Les enseignements tirés de ces expériences sont inspirants pour éclairer sur la manière de concilier les valeurs culturelles et religieuses avec les exigences universelles des droits humains, en particulier :

Les lois qui protègent contre la violence domestique et l’exploitation sexuelles, et qui garantissent des droits équilibrés dans le divorce.

Les politiques encourageant une plus grande autonomisation économique des femmes, qui est à la fois un objectif en soi et un moyen indispensable pour atteindre l’ODD 5.

Les programmes efficaces de sensibilisation et d'éducation qui visent à déconstruire les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge.

Leçons à adapter

L'adaptation des meilleures pratiques internationales aux spécificités nationales nécessite une analyse systémique et contextualisée des enjeux sociaux, économiques et culturels locaux. Pour le Maroc, cela implique d’intégrer des changements tout en menant des campagnes de sensibilisation publiques pour s'assurer que les réformes sont appropriées par les citoyens, dans un cadre de dialogue ouvert et de coopération en bonne intelligence entre les différents parties prenantes.

Rédigé par  Mohammed BENAHMED
 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


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Vendredi 31 Mai 2024

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